C'est sans doute un jeu qui mérite des mots. Qu'on en dise du bien ou du mal, Ar Tonelico mérite qu'on parle de lui. En dépit de sa lourde couche de défauts, il reste doté d'une grande qualité, celle qui attirera toujours ma bienveillance : il a le courage d'essayer.
Au premier abord, rien, absolument rien ne distingue le titre de Gust d'un autre RPG "pop-corn" : univers mêlant heroic-fantasy et science-fiction, anciennes civilisations détruites par la guerre, personnages répondant archi-présents à des tropes et clichés... Cependant, pour sauver ce projet voué à l'échec, Gust et Banpresto ont fait tout leur possible pour incorporer des idées et des mécaniques plutôt originales et qui suffisent certes à sauver le jeu de l'oubli... sans le rendre pour autant meilleur qu'il ne l'est.
Chevalier servant de la puissante Shurelia, le jeune Lyner est mandaté un peu par la force des choses pour récupérer un Hymn Crystal nécessaire pour sauver Platina de la destruction par une nouvelle génération de Virus. Cette mission lui fera croiser la route de divers personnages comme la timide et délicate Aurica, la franche et joviale Misha, le cow-boy cyborg Jack, et j'en passe. Si vous êtes déjà allergique aux situations artificielles et forcées puant le formol et l'acétone qu'on trouve dans beaucoup de RPG japonais, vous pouvez d'ores et déjà tirer une croix sur ce jeu. L'histoire suit son bonhomme de chemin, d'événements aléatoires en événements aléatoires, on visite le monde segmenté et compartimenté, on apprend des jolies choses sur l'espoir et l'amitié, on sauve des damoiselles en détresse, on affronte des méchants... tout et n'importe quoi, sans oublier des fautes d'écriture et des incohérences tellement grosses que le jeu lui-même n'arrive pas à les passer sous silence. Et une fois le but actuel de Lyner atteint, on se contente de switcher sur un autre sans approfondir davantage. Et si les conclusions ne brillent pas par leur qualité, elles se rattrapent vaille que vaille en aveuglant le joueur d'un rayonnement insoutenable de bons sentiments (cf la conclusion de la Phase 2 qui redéfinit les sommets du ridicule).
Devant ce premier constat, une personne dotée d'une intelligence raisonnable se demande sans doute comment un joueur, même doté d'une intelligence particulièrement déficiente comme un certain connard fini à nom d'animal, a pu trouver la volonté d'aligner plus de 10 heures sur un jeu pareil, là où Dragon Quest VIII l'a fait fuir à bride abattue en moins de 5. Eh bien deux ou trois arguments viennent peser dans la balance.
Le premier, c'est le prix de ce jeu. Rare et sous-connu, ce titre vaut une véritable fortune. De toute façon, c'est un jeu Gust, et les jeux Gust sont honteusement chers par rapport à leur coût de revient. Graphiquement digne d'une PS1 en milieu de vie (mais dans la moyenne de la prod Gust de l'époque), optimisé avec les pieds, blindé de ralentissements et d'aléas techniques, j'ai arrêté de compter combien de fois ce jeu a fait freezer ma console, affligé d'un voice acting médiocre, musicalement quelconque, même en tenant compte des Song Magics (dur de passer derrière celles, bien plus abouties, d'Ar noSurge), non, décidément, un jeu pareil empeste le projet entamé en 2001 mais abandonné devant la concurrence pour être repris à l'arrache cinq ans plus tard.
Le second, c'est le gameplay. En résumé, les combats sont menés par deux fronts : la ligne avant avec les combattants humains, et l'arrière avec votre Reyvateil. Le principe est d'élaguer les rangs ennemis avec vos humains, de façon à ce que deux barres rouge et bleue se rapprochent. Grossièrement, attaquer remplit les barres, subir une attaque les vide. Lorsqu'elles se touchent, le groupe gagne un niveau d'Harmonics, ce qui confère à vos humains l'accès à leurs skills, jusqu'au niveau 4. Mais au départ, vous n'avez accès qu'au rang 1 d'Harmonics. Pour débloquer les suivants, votre Reyvateil doit charger une "chanson magique" jusqu'à un certain point, puis la lancer pour remplir une troisième barre rouge ; une fois à fond, vous débloquez un niveau d'Harmonics à acquérir. Attention toutefois, c'est lorsque vous venez de remplir votre barre que vous mangez le plus sévère cooldown en cas d'attaque subie.
Ce système demande de savoir jongler entre les attaques, les skills, un peu la stratégie et les objets. Mais, au départ, vous aurez de grandes difficultés à atteindre le niveau maximal d'Harmonics... pour la simple et bonne raison qu'il faut taper les ennemis pour les remplir, or, ils sont bien trop fragiles pour survivre longtemps à vos assauts. Par conséquent, le gameplay ne brille de tous ses feux qu'à l'approche de la phase 3, après 25 heures de jeu, quand le challenge se décide enfin à dépasser le niveau zéro et nous offrir enfin des monstres qui ne se font pas one-shot d'un seul coup de magie de base. Mais dans l'ensemble, une fois les subtilités comprises, on a affaire à un système profondément répétitif et entaché de plusieurs soucis de conception, à commencer par le simple fait que la magie de base, celle qu'on peut lancer à l'infini, suffit largement à tracer la quasi-totalité du jeu (seuls les boss et quelques enfants de catin requièrent l'usage d'autres magies).
Et pour finir, troisième et dernier argument majeur : les Cosmospheres. Ces phases de "visual novel" permettent d'entrer dans l'esprit de nos Reyvateils et observer, de façon fortement imagée, leurs soucis et tracas. Ces histoires s'avèrent pauvrement écrites et très mal intégrées à l'histoire, allant jusqu'à la contradiction parce qu'on est allé trop loin dans la Cosmosphere par rapport à l'avancement dans l'intrigue. Pourtant, les thèmes abordés n'ont rien d'innocent, que ce soit le complexe de n'être qu'une Reyvateil de dernière catégorie ou le dilemme entre devoir et plaisir, et l'usage fait des notions de psychologie dépasse de très loin l'histoire d'un certain jeu Atlus qui s'est rendu célèbre en la matière, notamment quand il aborde les façons de s'auto-détruire mentalement (c'est même pour ça que je voulais faire ce jeu avant le dernier en date). Foin de notions complaisantes ou détournées de leur sens, de mariage forcé de théories non concomitantes, l'équipe de Gust sait de quoi elle parle et comment elle en parle ! Elle n'a simplement pas le temps d'en parler correctement, donc elle va au plus pressé. Cela rend les niveaux 1 à 5 assez peu intéressants, mais les suivants sont de vrais sources de potentiel... dans lesquels on puise avec un seau percé.
Mention spéciale au Dive de la troisième et dernière Reyvateil, qui ose réellement remettre en question son approche pour relancer la machine en prouvant que, avec un peu d'implication, le principe pourrait vraiment donner naissance à de très belles choses.
Bref, je me suis, comme d'habitude, largement étalé, mais je conclurai en disant qu'Ar Tonelico est, somme toute, un jeu maudit. Chargé jusqu'à la gueule d'idées allant de bonnes à excellentes, développé par une équipe qui témoigne d'un vrai savoir-faire, et désireux de vraiment expérimenter pour savoir où et comment faire mieux par la suite, c'est un jeu sur lequel j'aurais sincèrement placé des billes si je l'avais eu entre les mains à l'époque de sa sortie. Malheureusement, aujourd'hui, il demeure un obscur jeu de niche destiné à un public prodigue, indulgent et peu regardant, dépassé au demeurant par de nombreux autres jeux (comme Ar noSurge qui est définitivement un Ar Tonelico 4 non-officiel).
Je lui réserve la note de 13,5/20. Ce n'est pas énorme, mais je peux difficilement lui mettre mieux vu à quel point je me suis forcé à jouer jusqu'à la fin de la phase 2 et son histoire plus que bateau.
Modifié par Wolf, 25 May 2017 à 19:18.